Le tennis est un sport dont le versant dit « féminin » est un des plus diffusés et médiatisés grâce aux fortes personnalités qui le mènent et captent l’attention du public, mais aussi grâce aux gros tournois où les deux sexes jouent conjointement pour les trophées les plus prestigieux. Mais il n’aurait pas joui d’une telle visibilité si les joueuses, à l’instar de Billie Jean King dans les années 1970, n’avaient pas lutté pour une considération et des revenus égaux à ceux de leurs homologues masculins. Cette bataille, retracée dans le film Battle of the sexes, sorti à l’occasion de l’US Open en septembre 2017, a mené à la création d’un organisme d’abord concurrent puis subordonné à la Fédération Internationale de Tennis : la Women Tennis Association (WTA). Si les femmes ont alors su percer le plafond de verre et bénéficient aujourd’hui des mêmes gains en tournoi que les hommes, ce sport fait encore malheureusement écho à de nombreuses discriminations qui prennent place dans notre société. L’année 2018, ses scandales et ses polémiques multiples nous l’ont démontré : il reste encore beaucoup à faire.
Tout d’abord, à l’US Open, la joueuse française Alizé Cornet s’est faite sanctionner pour avoir enlevé son t-shirt sur le court afin de le remettre à l’endroit, s’étant rendue compte qu’elle l’avait mis à l’envers dans le vestiaire. A l’inverse, le joueur Novak Djokovic, par exemple, reste souvent de longues minutes torse nu aux changements de côté sans aucune sanction, cela étant autorisé par le règlement. Ce qui ne devait être qu’un fait de jeu a alors pris des proportions inattendues. Les voix de nombreuses joueuses se sont fait entendre pour protester contre ce règlement qui traite le corps avec deux poids deux mesures selon le genre. Résultat : le règlement est changé, les joueuses auront désormais les mêmes prérogatives que les hommes en ce qui concerne les changements d’habits sur le court.
Alizé Cornet et Novak Djokovic, Captures d’écrans – AFP
Cette polémique vestimentaire fait directement écho au commentaire de Bernard Giudicelli, président de la Fédération Française de Tennis, sur la tenue de Serena Williams à Roland Garros. Il avait déclaré en août, bien après la clôture du tournoi : « Je crois qu’on est parfois allé trop loin. La combinaison de Serena cette année, par exemple, ça ne sera plus accepté. Il faut respecter le jeu et l’endroit. Tout le monde a envie de profiter de cet écrin. » Cette phrase, au mieux maladroite, au pire révélatrice d’une pensée d’un autre temps, intervient à un moment où Roland Garros cherche à renouveler son image à travers la modernisation du stade mais aussi avec l’instauration d’un dress code à l’horizon 2020. Ce commentaire mal senti à l’encontre d’une joueuse qui a souffert tout au long de sa carrière de racisme et de sexisme met en exergue le fait que les tenues des femmes devraient répondre aux canons de beauté et à une certaine conception de l’élégance. Si Serena Williams a vite écarté la polémique, c’est son sponsor Nike qui a répondu de la plus belle des manières en soutenant la championne sur les réseaux sociaux : « Vous pouvez ôter son costume au super-héros, vous ne lui ôterez jamais ses super-pouvoirs ».
Mais, ce n’est pas la première fois dans l’histoire du tennis que la mode fait parler. Dans les années 1920 déjà, la française Suzanne Lenglen avait raccourci la longueur de ses jupes pour un plus grand confort de jeu, ce qui avait fait jaser la bonne société bourgeoise de son temps. Jusque dans les années 2000 et 2010, les jupes n’ont cessé de se raccourcir, menant progressivement à une objectivation du corps de la femme : il n’y a qu’à voir les contrats publicitaires mirobolants décrochés par certaines joueuses dont la carrière n’est ou n’a pourtant pas été notable, à l’instar d’Anna Kournikova et Eugénie Bouchard. A côté de cela, d’autres joueuses au sommet peinent à trouver des sponsors car elles n’entrent pas dans les critères de beauté définis par les annonceurs. C’est le cas de Marion Bartoli ou plus récemment de la joueuse roumaine numéro 1 mondiale, Simona Halep, qui en début d’année a joué deux tournois sans sponsors car les équipementiers ne voulaient pas payer la somme qu’elle réclamait pour son nouveau statut de patronne du tennis mondial (comprendre : parce qu’elle est roumaine et que ça ne fait pas assez vendre).
Serena Williams lors de la 3ème journée du dernier tounoi Roland Garros – Getty Images
Autre exemple : lors de la finale de l’US Open, Serena Williams s’est emportée contre l’arbitre de chaise en l’insultant « de voleur » (« thief ») à cause de décisions qu’elle jugeait « injustes ». Sanctionnée par un jeu de pénalité (elle avait déjà écopé de 2 avertissements pour coaching et pour avoir cassé une raquette, le 3e est rédhibitoire) Serena s’emporte. C’est pour elle la goutte d’eau qui fait déborder le vase : elle sort complètement de son match pour s’en prendre au corps arbitral en l’accusant de sexisme. Cette accusation répétée et maintenue en conférence de presse a fait couler beaucoup d’encre.
Pour Martina Navratilova, ancienne championne de tennis, dans le New York Times, Serena Williams a bien été victime de sexisme. Cependant, un tel comportement de la part d’une si grande championne (plus grande joueuse de l’histoire devant Roger Federer en termes de palmarès – on a trop tendance à l’oublier) n’est pour elle pas acceptable sur un court de tennis. Il n’est pas question de remettre en cause la légitimité de Serena Williams de s’élever contre le sexisme ordinaire dont elle a été victime, mais de la manière de l’exprimer au vu des circonstances. Un comportement qu’on qualifie généralement de viril et de marqueur d’autorité chez un homme est ici considéré comme de l’hystérie quand il est adopté par une femme. Cet usage à double vitesse du règlement en fonction des joueur·se·s reflète la différence de traitement et de perception des comportements que l’on considère comme « masculins » ou « féminins ». Ce qui est accepté et apprécié chez un homme comme des qualités de leadership est souvent considéré comme de l’autorité mal placée chez une femme. Ce faisant, le tennis est un reflet de ces problématiques de société. On le voit tous les jours dans la considération, à tort, que la figure d’autorité revient mieux aux hommes. C’est un fait culturellement construit qu’il nous appartient de faire évoluer.
Il est donc, selon moi, intéressant de regarder d’un peu plus près ce qui se passe dans le monde tennistique. Entre les commentaires rétrogrades de certains observateurs et les plaidoyers pro-féministes comme celui d’Andy Murray, joueur britannique et double champion olympique, qui avait dû se défendre d’avoir choisi une femme – Amélie Mauresmo – pour l’entraîner, toutes les voix se font entendre et font écho aux problématiques et opinions de notre société. Le microcosme du tennis se fait alors la caisse de résonance des inégalités de considération des comportements et des traitements du corps. Espérons que les progrès opérés (et ceux qui restent encore à faire) dans un sport largement médiatisé aident à faire évoluer les mentalités.
Pour plus d’informations sur ces sujets :
Article de l’ancienne championne de tennis, Martina Navratilova sur la polémique de la finale de l’US Open (une mise en perspective très juste de mon point de vue) : https://www.nytimes.com/2018/09/10/opinion/martina-navratilova-serena-williams-us-open
Article du Washington Post sur l’historique des attaques raciales subies par Serena Williams et les problèmes de représentation de la communauté afro-américaine : https://www.washingtonpost.com/outlook/2018/09/11/long-history-behind-racist-attacks-serena-williams
Serena Williams s’exprimant elle-même sur son identité et son expérience face aux discriminations : http://theundefeated.com/features/serena-williams-sits-down-with-common-to-talk-about-race-and-identity/
Article pour une petite histoire de la tenue féminine dans le tennis (rien n’a vraiment changé) : https://www.francetvinfo.fr/sports/tennis/roland-garros/polemique-sur-la-combinaison-de-serena-williams-rien-n-a-change-depuis-suzanne-lenglen-vraiment_2914441.html
Isabelle Vallet