Les personnes âgées ne font plus assez l’amour. Une étude de l’Université de Manchester démontre qu’en 2015, seulement 54% des hommes et 33% des femmes de plus de 70 ans en Grande-Bretagne avaient une vie sexuelle active. Dans un tel contexte, l’association Grey Pride a lancé une campagne d’affiches mettant en scène des personnes du troisième âge répétant des positions du Kamasutra afin de sortir leur vie sexuelle du silence.
La solitude
Quelques mois auparavant, les médias ont soulevé la question de la solitude chez les personnes âgées. Souvent placées dans des EHPAD, elles ont pu être victimes d’une prise en charge trop faible pour vivre décemment leur vieillesse, faute d’effectif au sein de ces établissements. Elles ne peuvent souvent y acquérir une quelconque intimité puisque si un.e résident.e est surpris.e en train de se masturber, le personnel est chargé de réagir et de l’en empêcher.
Ces enquêtes nous ont dévoilé que les personnes âgées subissent une solitude implacable :
25% des personnes de plus de 60 ans sont dans une situation d’isolement social. De nombreuses personnes sont veuve.s et craignent de ne pas retrouver quelqu’un pour partager leur vie. Cette solitude pourrait être la première cause de mortalité : en ne voyant personne, les personnes âgées développent une angoisse pouvant s’exprimer par diverses maladies. Ce manque affaiblit leur système cérébral, les amenant à développer des maladies dégénératives telles que l’Alzheimer.
Il faut ajouter que les personnes âgées sont d’autant plus enclines à développer des dépendances. Que ce soit pour faire le ménage, se laver ou se soigner, elles requièrent davantage d’aide que les personnes en âge de travailler ou en début de retraite. Cette dépendance peut créer un sentiment d’infantilisation qui influe sur leur vie sociale et sexuelle.
L’invisibilité des séniors LGBTQ+
N’oublions pas que les hommes et les femmes séniors LGBTQ+ sont d’autant plus touché.e.s
par cette solitude. Iels ont d’abord été victimes d’une génération davantage conservatrice sur leurs orientations sexuelles ou leur genre, ce qui a ajouté de facto une difficulté supplémentaire à leurs vies sociale et sexuelle. Les personnes du même âge sont moins favorables au partage et à l’échange que les générations plus jeunes. Iels peuvent être frappé.e.s par la sérophobie, l’homophobie ou la transphobie. Certain.e.s ont aussi vécu des drames personnels : iels peuvent avoir perdu des conjoint.e.s lors « des années sida » dans les années 90. Ces éléments aiguisent ce sentiment de fragilité.
Contrairement aux hétérosexuel.le.s de leur âge, les séniors LGBTQ+ ont moins eu l’opportunité de fonder une famille, étant donné le retard législatif et l’obscurantisme qui noircit encore la France au moment des débats sur la PMA. Iels n’ont pas pu bénéficier de la construction de leur « nouvelle identité » au moment de leur vieillesse fondée sur un rôle de « grands-parents ». Iels n’ont donc pas eu pour la plupart l’opportunité de voir régulièrement des petits-enfants ou d’aller à des repas de famille, puisque pour beaucoup d’entre eux.elles, la sortie du placard leur a fait perdre leur famille.
Les personnes âgées LGBTQ+ ont eu tendance à construire leur identité sur une image davantage sexualisée, à défaut d’avoir pu fonder une famille et d’imaginer l’acte sexuel comme un moyen de procréation. Or, les affres du temps ont rendu leurs physiques plus éloignés des canons de beauté actuels. Iels sont alors moins sujet.e.s aux jeux de séduction et d’alcôve. Leur identité construite sur la libération sexuelle s’est alorstournée contre eux.elles. Le président de Grey Pride, Francis Carrier, déclare dans une interview à Libération que « Parfois, j’ai l’impression qu’on a raté notre libération sexuelle. Elle a été captée par le marketing, qui a réduit le corps au corps parfait des jeunes de 25 ans. Alors qu’au départ, la révolution sexuelle, c’était « jouissons de notre corps », « libérons-nous », « ayons du plaisir ».
Déshumanisation des personnes âgées
L’homophobie, la solitude, la dépendance sont des éléments qui ont primé sur l’identité de ces personnes âgées LGBTQ+, ou hétérosexuel.le.s, pour les faire retourner au placard ou les rendre invisibles. Nous n’évoquons alors pas leurs désirs, leurs besoins d’affection, leurs identités dans les médias. Leurs lieux de vie peuvent donner l’impression d’être « carcéraux » par des hôpitaux ou des maisons de retraite aseptisées de toute décoration. Certain.e.s doivent vivre sous tutelle ou curatelle pour mener leur vie. Cette « infantilisation » les condamne à perdre peu à peu leurs droits et fragilise leur estime d’eux-même.
Alors, beaucoup de séniors renoncent à leur sexualité. Iels ont honte de leur mode de vie dépendant et de leur physique vieillissant. Une femme déclare dans une vidéo pour #RévolutionSenior qu’elle aimerait pouvoir faire de nouveau l’amour. Cependant, elle déclare avoir honte de son sexe, ce qui l’empêche de le faire malgré ses désirs. Elle a honte de ne plus être « sexy » pour sa compagne. Dans cette même vidéo, un homme déclare avoir de nombreux fantasmes sexuels qu’il ne peut mettre en pratique, faute de partenaire et d’un physique jugé désormais « inapte à plaire » aux yeux des canons de beauté diffusés de manière continue.
Sortir de ce mouvement : la création de Grey Pride
C’est dans un tel contexte que l’association Grey Pride voit le jour à Paris en 2016. Elle se présente en ayant deux objectifs. Elle souhaite tout d’abord qu’un large public ainsi que les politiques publiques prennent en compte des minorités dans la filière vieillesse. Elle souhaite aussi limiter la solitude chez les personnes âgées en proposant des activités conviviales et un soutien psychologique pour mieux vivre le troisième âge.
Leurs actions sont variées. L’association possède une ligne d’écoute afin de soutenir les personnes âgées LGBTQ+ sur les questions de solitude, de sexualité ou de bien-être. Elle propose des appartements communs avec d’autres personnes de leur communauté afin d’éviter la solitude. Des moments de convivialité sont aussi organisés. Ces actions ne se limitent pas seulement au bien-être de leur communauté, elles cherchent aussi à réduire sur le long-terme ces problèmes dont souffrent les personnes âgées en organisant des formations de sensibilisation des séniors LGBTQ+ ou encore des expositions.
Par ailleurs, Grey Pride a organisé une exposition intitulée #RévolutionSénior en septembre dernier pour sensibiliser sur la question de sexualité chez les séniors. Sur une série d’affiches, les bénévoles de l’association ont posé dans différentes positions sexuelles, avec des couleurs chatoyantes pour attirer l’œil. Ces affiches sont d’autant plus piquantes qu’elles publient des phrases telles que « Ma sexualité me réjouit » « J’existe, je suis visible », « Pouvoir aimer et être aimé-e toute ma vie ».
« Parler sans tabou »
Ces affiches nous questionnent alors sur leurs sexualités. Elles nous montrent intelligiblement que les personnes âgées peuvent avoir une vie sexuelle et sont légitimes à en parler. Elles sont davantage concernées que la majorité des séropositif.ve.s ont plus de 50 ans. L’une d’entre elle pointe avec humour cette réalité : « Les vieux ne jouent pas qu’au Scrabble. 20% des contaminations par le VIH touchent les plus de 50 ans » ou « 50% des hommes de plus de 50 ans se sont contaminés lors de rapports hétérosexuels ».
Cette campagne souhaite sensibiliser les pouvoirs publics mais elle est destinée en outre à un public plus large. En nous plongeant plus particulièrement dans leur intimité, nous nous rendons compte des raccourcis et préjugés que nous pouvons faire sur les personnes du troisième âge. Ainsi Grey Pride participe à la déconstruction des stéréotypes de manière brillante et intelligente.
Cette campagne a réussi son objectif que nous pourrions résumer par une phrase, figurant sur l’une des affiches : « A plusieurs, c’est sympa ». En rendant les personnes âgées visibles, de nombreuses personnes ont été sensibles à leurs causes et parmi elles, certain.e.s se sont senti.e.s soutenu.e.s et moins seul.e.s, selon les bénévoles de l’association. L’une des bénévoles annonce alors que « Grey Pride est utile (…) et même indispensable. Toutes les vielles peaux que nous sommes, qui se sentions un peu flasques et bien voilà qu’on prend le temps de nous écouter. Je crois c’est une révolution, un soulèvement de la masse âgée. ». En mettant « à poil » le quotidien de ces séniors, l’association Grey Pride espère que le gouvernement entreprendra des mesures pour faciliter leurs conditions de vie. Dans 20 ans environ, un Français sur quatre aura plus de 65 ans, cette action est donc humaniste puisqu’elle concerne demain !