« Les gars, vous savez ce qu’on dit à une femme qui a déjà les deux yeux au beurre noir? … On ne lui dit plus rien! On vient déjà de lui expliquer deux fois!». Blague de mauvais goût de tonton Robert entendue au repas de Noël entre le fromage et le dessert pensez-vous ? Que nenni, elle nous vient directement de Tex, présentateur des Z’Amours sur France 2 et invité sur le plateau de C’est que de la télé jeudi 30 novembre. Immédiatement après la diffusion de l’émission, les internets s’enflamment.
Rapidement, Marlène Schiappa, secrétaire d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, a annoncé avoir reporté cette blague «indigne et irrespectueuse qui banalise les violences conjugales» au CSA. Quelques jours plus tard, France 2 annonçait officiellement le départ de Tex de la chaîne, arguant qu’il n’était «plus en adéquation avec les attentes du public et de la chaîne pour ce jeu». C’est alors une nouvelle vague, de soutien pour Tex cette fois, qui déferle sur les internets.
Que croire alors ? Tex est-il un martyr, un nouveau Coluche incompris, un Desproges né dans le mauvais siècle ? L’humour va-t-il disparaître sous les assauts de l’armée de la bien pensance et du politiquement correct ?
Tex est un homme cisgenre blanc hétérosexuel (marié à une femme du moins) valide… Bref, il ne fait pas partie de minorités discriminées. Pourtant il se permet de faire une blague dessus, et dans un contexte fort peu adapté. En effet, les accusations contre Weinstein sont encore chaudes dans les esprits et il semble que chaque jour de nouvelles personnes partagent leurs histoires liées au harcèlement et à la violence. Time Magazine a désigné les Silence Breakers (briseur.euse.s du silence) comme «Person of the Year», pour mettre en avant tou.te.s celleux qui refusent de rester dans l’ombre et perpétuer les violences qu’iels ont subi. Mais sur C8, Tex continue de penser que la violence faite aux femmes est un sujet à plaisanterie.
On entre alors dans le problème de la «culture» de la violence (comme la culture du viol en fait). C’est de la violence symbolique, qui est encore présente dans la majorité de nos institutions et dans notre environnement, et dans laquelle Tex s’inscrit si facilement. Faire une blague sur la violence faite aux femmes, c’est faire de ce crime quelque chose de drôle, de léger. C’est diminuer la gravité de ces situations, qui sont encore malheureusement courantes et mal gérées. Il est en effet toujours très difficile pour une femme de porter plainte contre son mari, le viol dans le couple est très peu reconnu, les relations abusives sont souvent romantisées ou mises sur le compte d’une erreur, «c’est un truc de mec» après tout. Bizarrement, il est beaucoup plus rare d’entendre des blagues sur le meurtre, le suicide ou le cancer, car ce sont des sujets sérieux. La violence faite aux femmes en revanche, semble être une exception, bien qu’elle cause la mort d’une femme tous les 3 jours en moyenne.
«À l’époque, Coluche se moquait de tout le monde et personne ne disait rien». Cet argument d’autorité, souvent utilisé, n’a pourtant aucune légitimité. En effet, Coluche et d’autres, se moquaient de tou.te.s, minorités comme majorité. Mais il était, encore une fois, un homme blanc cisgenre, hétérosexuel… Et son public était principalement composé de personnes issues de la majorité blanche, cisgenre, hétérosexuelle. Les minorités attaquées quant à elles, n’avaient pas accès à des plateformes pour s’exprimer et se moquer. Combien d’humoristes femmes ou noir.e.s, transgenres, homosexuel.le.s pouvez-vous me citer ? Et actif.ve.s dans les années 70 ou 80 ?
L’humour est sain et sauf, ne vous en faites pas. De plus en plus de jeunes prennent la parole sur des plateformes comme YouTube, Twitter… Les médias ne manquent pas pour s’exprimer et atteindre une large audience. De manière plus traditionnelle, il existe de nombreuses séries télé et films comiques mais pas offensants. Il suffit de voir le succès de Brooklyn 99, série policière regroupant 3 femmes dont 2 latinas (dont 1 bisexuelle), 2 noirs dont 1 homosexuel en tête d’affiche pour voir qu’il est loin d’être impossible d’être drôle aujourd’hui. Il faut juste faire plus d’effort qu’en 1998, lorsque Phoebe Buffay de Friends lance «you have homosexual hair» à Chandler Bing et que l’audience explose de rire.
En 2017, de plus en plus de personnes s’engagent, prennent conscience des problèmes de la société, se révoltent contre les petites injustices de tous les jours. Tout le monde ne peut pas être Malala Yousafzai et se faire l’avocat.e des toutes les petites filles déscolarisées du Pakistan. En revanche, c’est à la portée de chacun.e que de rembarrer son père homophobe, sa grande-tante raciste ou son oncle islamophobe. Il est aussi de plus en plus facile de s’éduquer sur des causes moins connues, comme la transidentité. Il n’y a plus d’excuse à être ignorant.e car les internets regorgent de manuels et explications, du plus simple et accessible au plus spécialisé. Il suffit de demander.
Bien que Tex se soit excusé, cela ne résout pas le problème de fond. La violence faite aux femmes, de même que le handicap, l’homosexualité, le viol, ne sont pas des sujets à plaisanterie. Nous devons lutter contre ces blagues car elle ne font que perpétuer les clichés et stéréotypes et empêchent souvent les victimes d’être prises au sérieux. Tex diminue la gravité de la situation sur une chaîne à forte audience, à une heure de grande écoute (C’est que de la télé regroupe environ 400.000 téléspectateur.ice.s) et s’excuse par la suite sur Twitter, où il compte moins de 4.000 abonné.e.s. Son message se résume en 150 caractères, et a été bien vite noyé par tous les retweets des supporteur.ice.s de sa cause. Car oui, le tweet épinglé de Tex est un lien vers une pétition contre sa mise à pied par France 2, accompagné du message «Juste pour la vanne, signez…». Parce que visiblement, ce n’est vraiment pas sérieux.
Ellie Martinaud