Après avoir malheureusement du annuler cette conférence en partenariat avec Kulturiste, nous revenons aujourd’hui pour vous présenter le sujet qui aurait été abordé lors de l’évènement.
Disclaimer : le terme “asiatique” englobe énormément d’ethnies, de physiques et de cultures différentes, toutefois aujourd’hui nous nous penchons particulièrement sur le racisme envers les asiatiques originaires de ou présentant des traits d’Asie du Sud et de l’Est, les manifestations du racisme et propos étant différents.
Un contexte social dégradant
Nous voici quelques semaines après plusieurs évènements qui ont révélé de différentes manières le racisme systémique subis par les personnes asiatiques. La soirée étudiante “Shangaïneken” organisée en novembre, a tourné la culture chinoise en dérision en la réduisant à de grands clichés. Les élèves ont eu des propos ouvertements offensant tels que “viens te débrider après une dure journée de travail à l’usine”. Cet exemple n’en est qu’un parmi d’autres. Il rend compte de la méconnaissance de certaines cultures asiatiques, allant du stéréotype et des amalgames les plus courants, à la fantasmagorie pure. Dans une approche intersectionnelle, il est visible que les femmes sont les cibles privilégiés d’injonctions sexistes. Récemment, l’émission Miss France a beaucoup participé à l’agitation raciste, en particulier sur les réseaux sociaux, envers la candidate d’Ile de France Evelyne De Larichaudy. Elle s’est vue principalement attaquée sur son physique “exotique” de femme asiatique. Des commentaires tels que « Miss Île-de-France, ils sont allés la chercher au wok de Bondy » montrent bien qu’il est si aisé de blaguer et léser la femme asiatique qui ne réagira pas. Elle est dans l’imaginaire collectif cette femme “docile et douce” qui de toute façon n’a pas fort caractère.
La femme devient alors l’« élément de cette image réductrice qu’il a fantasmée dans son esprit » (Grace Ly)
En ayant cette image douce et docile, une autre strate du racisme apparaît, celle de l’image fantasmée et réductrice, comme le dit bien Grace Ly, une de nos intervenantes sur la conférence. Elle apparaît alors figée dans son être et son devenir. L’imaginaire occidental collectif s’impose au physique, à travers des idéaux de beauté teintés de colorisme. Il s’impose socialement, avec des schémas de comportements et des traits de caractères spécifiques, tels que la douceur, la soumission, mais aussi la matriarche à la main de fer. Trahissant un profond orientalisme, il participe à une uniformisation arbitraire des femmes asiatiques. Il gomme leurs particularités culturelles propres. Mais dès lors, on peut se demander quelle est la place de la culture dans ce mécanisme. La littérature, le cinéma, les mangas, la musique et d’autres participent à nourrir une fantasmagorie créée à base de stéréotypes et de rapports de domination. Leur diffusion industrielle et globale participe à la renforcer. Dans un temps plus court, on peut penser à certains personnages de mangas, aux courants musicaux de la K-pop et de la J-pop, qui réduisent les critères esthétiques valorisés à certain type de femme. Finalement, comment se sentir représentée à travers ces images, mais aussi comment se représenter ?
Développement de lieux d’expression
Nous prenons principalement pour exemple les oeuvres de nos intervenantes :
le roman
Les femmes s’emparent de l’art littéraire pour y développer des histoires qui les concernent elle. Dans un contexte où les personnages de petites filles sont collectivement décrites comme correspondant à des normes blanches européennes, les femmes asiatiques françaises créent leurs propres personnages. On peut penser à Jeune Fille Modèle de Grace Ly, roman sorti en octobre 2018, dans lequel l’auteure parle de Chi Chi, petite fille qui ne ressemble pas à tous ces posters et modèles. Babelio affirme d’ailleurs que ce roman “donne la parole à une enfant de la seconde génération des Asiatiques de France, sur laquelle plane l’ombre d’exils douloureux, Jeune fille modèle met en scène la palette d’expériences liées à la double culture”. Grace Ly se réapproprie alors la littérature et la fiction romanesque pour y développer un personnage auquel elle aurait aimé s’identifier plus jeune, auquel les jeunes filles asiatiques peuvent désormais s’identifier. L’enjeu est ici très important dans la mesure où la littérature médiatisée est elle-même est occidentale-centrée, ne laissant que très peu de place aux personnages asiatiques, et encore moins à des auteur.e.s asiatiques.
Changer les normes en littérature et développer cette diversité de personnages est alors un enjeu culturel important. La représentation littéraire permet elle alors la représentation des individus qui composent le société?
la vidéo youtube
Les femmes s’emparent également de médias numériques pour produire du contenu et exprimer leurs individualités. Cette plateforme vidéo encourage donc à réunir une communauté d’abonné.e.s concerné.es et d’allié.e.s sensibilisé.e.s à cette cause. L’intersectionnalité (concept de Kimberley Crenshaw) se révèle alors de plus en plus par ce biais. La web série « Ça reste entre Nous », produite par Grace Ly, met alors en exergue différentes thématiques concernant les personnes asiatiques de France. Entre racisme banalisé, stéréotypes tournés en « blagues » de mauvais goût et uniformisation de la pensée quant aux standards physiques de beauté féminine asiatique; la série laisse la parole à des témoins concerné.e.s au quotidien.
L’expression de soi par la vidéo est également exploitée d’autres manières. Linh-Lan Dao, femme journaliste, développe certes quelques thématiques liées spécifiquement à la femme asiatique, au sexisme (dans le manga par exemple) et au racisme banalisé; mais pas que. En effet, sa chaîne « Draw My News » est davantage le lieu de revues dessinées sur un spectre très large de thématiques comme l’économie, la politique, les sujets dits de société. Avec son talent et son tour de force, Linh-Lan renvoie au monde ce qu’il refuse parfois encore de voir : une femme asiatique qui marque son individualité et qui s’affirme dans un champ journalistique qui ne lui est pas toujours favorable. Oui, une femme journaliste; oui, une asiatique journaliste, oui, une française journaliste, une individualité dans toute sa complexité, pour reprendre les termes de Grace Ly.
Les plateformes de vidéos semblent donc être le lieu culturel et médiatique de différentes formes d’expression de femmes asiatiques. Loin d’être cantonnées aux stéréotypes réducteurs qu’on leur assigne.
le podcast
Pour ne citer que cette merveille, Kiffe Ta Race par Binge Audio est un podcast où les femmes racisées s’expriment et parlent ouvertement des problématiques qui les touchent. Le coeur de l’intersectionnalité est mené par Rokhaya Diallo et Grace Ly qui parlent et invitent d’autres témoins à parler de leur vécu. La description dit tout. Vous pouvez écouter directement via le lien Binge Audio que nous vous mettons juste ici :
Si la représentation féminine asiatique passe par du contenu littéraire ou rédactionnel, elle passe également par l’esthétique et l’image. Lorsqu’en France, on est habitués à des physiques normés dans le milieu de la mode, certaines prennent le devant de la scène pour montrer d’autres physiques, d’autres beautés. Montrer sa singularité et sa personnalité à travers des clichés est aussi ce qui est véhiculé par ces modèles et ces mannequins, qui osent s’affirmer en tant qu’individus. Loin des clichés et des phrases toutes faites sur l’uniformité du physique de la femme asiatique, les mannequins comme Cecilia revendiquent leurs propres canons de beauté en faisant un travail visuel remarquable.
Si d’autres lieux d’expressions existent comme les réseaux sociaux avec des communautés asiofeministes de plus en plus présentes, c’est aussi parce que les concernées osent, de plus en plus, parler médiatiquement en France. De nouvelles identités s’expriment, n’en déplaise à certains.
Nous regrettons que cette conférence n’ait pas abouti pour différentes raisons, et nous remercions amplement nos intervenantes qui auraient développé le sujet bien plus en détail que ce communiqué.
La salle du cinéma L’Ecran de Saint Denis est pleine à craquer et le public est bien différent de celui que l’on croise dans le reste des cinémas de Paris : la majorité est noire, composé de femmes et tous les âges sont confondus. Le constat selon lequel les personnes racisées vont moins au cinéma est aujourd’hui contredit : peut-être attendent-elles simplement un film qui les concerne et les représente pour se déplacer ?
Ce film c’est Ouvrir la voix, le premier long métrage d’Amandine Gay, réalisatrice afro féministe, activiste et pansexuelle (le fait que mon correcteur automatique ne connaisse pas ce mot me confirme l’importance de le préciser). Elle entre dans la salle, demande le silence, précise que son film sera à chaque séance projeté en version sous-titrée afin que les personnes malentendantes ne soient pas obligées de se déplacer à des séances spécifiques, et ce n’est que la premier point positif de ce film dont le mot clef est : inclusivité.
Ouvrir la voix c’est 2h d’un enchaînement de plans serrés sur le visage d’une vingtaine de femmes noires, françaises et belges, queer ou non, certaines étudiantes, d’autres mères, plus ou moins aisées et dont les métiers sont très divers. Ce qui les rassemble : une même expérience face au racisme et au sexisme qui découlent de la colonisation africaine et antillaise, et du patriarcat latent. Pas de musique, mais un rythme très travaillé d’intonations, de manières de parler, de rires, de pleurs et de silences pesants et lourds de sens. Et simplement leurs voix qui finissent par raconter des expériences collectives et apparaissent ainsi comme un seul et même témoignage : celui des femmes noires à qui la parole est bien trop peu donnée.
Elles y racontent comment elles ont appris qu’elles n’étaient pas blanches, confrontées à un racisme quotidien et sociétal qui dès le plus jeune âge les amène à cacher leurs cheveux, à penser à éclaircir leur peau, à s’excuser lorsqu’on les soupçonne de vol sans raison, à répondre à la célèbre question « tu viens d’où ? ». En bref, elles nous renvoient à ce que la société postcoloniale aimerait nous faire oublier : il existe un privilège d’être blanc.he. Le film se découpe ainsi intelligemment en deux parties : le racisme vécu dans les milieux blancs, et le racisme et sexisme internalisés par la communauté noire elle-même qui engendre une triple difficulté d’être femme, noire et lesbienne.
Sorti depuis le 11 octobre dans certaines salles françaises, le film a aujourd’hui été projeté dans 4 pays, et les retours sont très nombreux et surtout très positifs. Mais alors, pourquoi a-t-il fallu attendre Ouvrir la voix quand l’on voit à quel point la communauté noire en France attend et soutient ce genre d’initiative ? « Aujourd’hui, non seulement la France n’est pas prête à nous faire une place mais, en plus, on nous défend de travailler sur des questions qui touchent à notre expérience » raconte Amandine Gay, exilée à Montréal, dans une interview pour le journal Le Monde. En effet, le film n’a reçu aucun financement public de la part du Centre National du Cinéma, et est entièrement financé grâce à un kickstarter qui a rassemblé plus de 17000 euros.
Après des études à Sciences Po et au Conservatoire d’Art Dramatique du XVIème arrondissement de Paris, des propositions de rôles de jeunes femmes noires stéréotypés, c’est vers le documentaire et un sujet qui la touche personnellement que la réalisatrice choisit de se tourner. Il aura fallu 4 ans de travail bénévole afin de permettre la sortie d’Ouvrir la voix. Elle raconte son envie de sortir un film entièrement produit par des femmes noires, mais aussi comment sa volonté de ne pas faire travailler ses équipes gratuitement et la contrainte budgétaire rendent ce souhait impossible et l’amènent à s’appuyer sur son compagnon blanc et cis par exemple. On la retrouve ainsi à l’écriture et à la réalisation avec la création de Bras de Fer, sa propre boite de production dans la veine de la guerilla filmmaking.
A travers ce film, Amandine Gay voulait livrer un film exutoire pour toutes les personnes confrontées au racisme et au sexisme, et c’est tout à fait réussi. Rires, applaudissements, larmes, approbations plus ou moins discrètes, toutes les réactions qui émanent du public lors de la projection confirment bien à quel point ce film est une illustration de la réelle situation des principales concernées, et à quel point aussi il fait du bien. Ouvrir la voix est un témoignage englobant qui met des mots sur des ressentis individuels. Même s’il s’adresse aux femmes noires, il est aussi libérateur pour toutes les personnes et femmes racisées, et constitue une source d’apprentissage pour les personnes blanches.
Amandine Gay réussit à ne pas seulement produire un film puissant de sens et mettant en scène des modèles de femmes fortes qui ont réussi, mais elle nous livre aussi de belles images qui mettent en valeur les peaux noires peu représentées sur les écrans. D’ailleurs, alors que ce sont les contraintes techniques de lumières qui sont évoquées lorsque l’on demande pourquoi si peu de personnes noires sont représentées sur les écrans, Ouvrir la Voix prouve ici qu’on peut y arriver avec peu de moyens. Incompétence ou mauvaise volonté du milieu médiatique français ? On vous laisse juger.
Quant à Amandine Gay, elle frappe fort et nous donne envie de voir la suite. Avec Ouvrir la voix elle dégage assurément la piste à d’autres initiatives de la part de personnes racisées, de femmes en particulier, et pour cela aussi on la remercie.
Prochaine diffusion : Le 17 décembre à Bruxelles et le 21 décembre au cinéma – Le Clef à Paris (75005).
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