Il y a quelques semaines, en effectuant ma dose quotidienne de scrolling sur Facebook, je suis tombée sur l’interview de Laurie pour konbini, une jeune femme asexuelle. En l’écoutant, j’ai pris conscience de la grande méconnaissance qui entoure cette orientation sexuelle, encore attachée à de nombreux stéréotypes et, surtout, (trop) peu médiatisée. Ce faisant, les personnes asexuelles se retrouvent privées de visibilité, ce qui représente déjà une forme de souffrance et d’exclusion en soi. Mais au-delà de cela, c’est un vrai problème de communication qui se pose autour et au sein des communautés LGBTQ+. En effet, certaines personnes ne reconnaissent toujours pas l’asexualité comme une orientation sexuelle à part entière.
Meme récurrent sur les forums et blogs asexuels : l’asexualité étant aussi rare qu’une licorne dans le paysage médiatique, pourquoi ne pas en faire la mascotte de la communauté ?
Mais alors, comment comprendre et (surtout) faire comprendre son asexualité quand celle-ci est absente du paysage médiatique ?
Une orientation sexuelle pluriforme
Être asexuel.le, c’est ne pas ressentir d’attirance sexuelle. Cette absence de désir charnel n’est pas à confondre avec une quelconque phobie sexuelle ou abstinence choisie pour diverses raisons, qu’elles soient religieuses, professionnelles, ou autres. De plus, l’asexualité peut se combiner à d’autres orientations sexuelles : on peut en effet être bisexuel.le, homosexuel.le ou hétérosexuel.le sans pour autant ressentir de désir sexuel. Par ailleurs, elle a aussi plusieurs façons de s’inscrire dans les relations amoureuses. Les asexuel.le.s sont par exemple plus ou moins « romantiques », c’est à dire qu’iels ressentent de l’attirance, un besoin de relation intime et tendre, mais tout cela à des degrés différents et propre à chacun.e. L’asexualité est donc considérée comme un spectre, et c’est pour cela qu’il faut à tout prix éviter de la catégoriser. C’est d’ailleurs à cause de cette pluriformité particulière qu’elle a eu du mal à se faire réellement considérer comme une orientation sexuelle en tant que telle.
Si vous voulez plus d’informations sur les différentes formes d’asexualité, je vous conseille d’aller faire un tour sur le site internethttp://fr.asexuality.org ou bien de consulter ce beau travail infographique des contributeur.rice.s d’AVENwiki.
Un réel besoin de médiatiser le discours asexuel
L’un des plus grands obstacles auquel les asexuel.le.s doivent faire face reste le manque de compréhension de la part du corps médical, de leur entourage et surtout de leur partenaire ou conjoint.e. Si les asexuel.le.s peuvent avoir des relations sexuelles et même parfois en tirer un plaisir physique, iels n’en ressentent jamais le désir. Cela les amène parfois à se penser malades ou encore déviant.e.s, et ce faisant à se forcer à adopter le modèle de comportement sexuel qu’iels perçoivent comme « normal ».
Le corps médical est d’ailleurs souvent moqueur vis-à-vis de ces inquiétudes. Beaucoup d’asexuel.le.s ont notamment été choqué.e.s par un épisode de la saison 8 de Dr House dans lequel le personnage titre se moque d’un couple d’asexuel.le.s et finit par démontrer que « ce trouble » est dû à une tumeur. Au-delà de la moquerie, c’est la ressemblance avec des situations vécues dans la réalité qui a le plus heurté la communauté asexuelle.
Mais cette incompréhension peut se transformer en une souffrance quotidienne quand elle prend place dans l’entourage, et encore plus quand c’est au sein du couple. L’insistance d’un.e partenaire et des remarques comme « non mais tu n’aimes pas le sexe parce que tu l’as jamais fait avec Moi », « t’as juste la trouille » ou bien « fais-le si tu m’aimes » sont une pression insupportable qui peut pousser les asexuel.le.s romantiques à se couper de toute relation amoureuse. La population d’asexuel.le.s étant souvent estimée autour des 1%, il relève presque du miracle de parvenir à trouver un.e partenaire qui partage cette même absence de désir (même si de belles rencontres sont possibles sur les forums qui y sont dédiés). D’où la nécessité d’informer sur le sujet et de rendre l’asexualité plus visible.
Le début de la médiatisation
Drapeaux et slogans Asexuels à la Pride de Stockholm, 2012.
Pour bon nombre d’asexuel.le.s, l’émergence d’Internet et des forums a représenté un énorme pas en avant vers l’acceptation de soi. C’est tout particulièrement le cas de la fondation d’AVEN (Asexual Visibility and Education Network), créée en 2001 par l’américain David Jay, qui procure maintenant des réponses et du soutien aux personnes qui viennent à s’identifier comme asexuel.le.s, leur permettant également de développer un sentiment d’appartenance à une communauté. Après un certain temps, des médias LGBTQ+ et féministes ont alors commencé à s’intéresser au sujet et à publier à son propos.
Mais le problème, sans doute le plus profond, se trouve aujourd’hui dans le monde du divertissement. Que ce soit dans les livres ou sur les écrans, les personnages asexuels sont extrêmement rares. Personnellement, je suis particulièrement fan de la manière dont le créateur de la série animée Bojack Horseman a représenté le personnage de Todd. Celui-ci ne se réveille pas un beau matin en découvrant soudainement son asexualité : on le voit d’abord se poser des questions sur son attirance pour un genre ou pour un autre, puis progressivement se rendre compte qu’il ne ressent pas de désir sexuel. Il a des relations amoureuses ainsi qu’une partenaire à qui il explique ce qu’il recherche dans les relations amoureuses. Il exprime même une idée que je trouve fantastique : une application de rencontre pour asexuel.le.s !
Au-delà du personnage de Todd, on peut également citer des personnages qui, même si pas toujours représentés comme tels, sont vus comme des figures d’identification pour un grand nombre d’asexuel.le.s. Dans les séries télévisées actuelles, on peut par exemple citer Raphael Santiago (Shadowhunters), Sherlock Holmes (Sherlock), Le Docteur (Docteur Who) ou bien Voodoo (Sirens).
Puisque l’asexualité semble progressivement sortir de l’ombre dans laquelle elle était confinée, il est tout à fait plausible d’imaginer que les représentations de personnages asexuels augmenteront avec celles des LGBTQ+ dans les années à venir. On espère la même évolution du côté de la presse et de la société : encore trop de personnes considèrent cette orientation sexuelle comme un mythe ou, pire encore, une maladie mentale. Mais contrairement aux licornes symbolisant la communauté, les asexuel.le.s existent bel-et-bien et tentent aujourd’hui avec plus ou moins de succès de faire entendre leurs voix.
Mathilde Caubel
SOURCES:
Réactions à l’épisode de Dr House sur le forum AVEN francophone : http://fr.asexuality.org/forum/viewtopic.php?t=4820&start=15