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Cher Père Noël non-binaire…

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Le compte à rebours a commencé : vos rues sont décorées, les vitrines saturées et votre concierge a peut-être d’ores et déjà installé un sapin dans votre hall. Noël est là et il nous le fait bien savoir ! Enfant, c’est avec impatience que vous les attendiez : les catalogues de jouets débarquent et comptent cette année encore vous faire rêver. Or, si vous aviez l’habitude de les parcourir avec innocence et émerveillement, une petite analyse des catalogues de jouets aurait de quoi désenchanter…

Bleu pour les garçons et rose pour les filles !

Faîtes le test : dégotez-vous quelques catalogues de Noël de vos enseignes favorites, observez-les, disséquez-les et vous arriverez très rapidement au constat que le monde des jouets n’est pas égalitaire.

Selon une étude menée par Astrid Leray, spécialiste des questions d’égalité femmes-hommes, seulement 33% des pages d’un catalogue présentent des jouets non spécifiquement destinés à l’un ou l’autre genre. Le constat serait encore plus sombre puisqu’uniquement un catalogue sur dix segmente ses rubriques par tranche d’âge et sans code couleur genré. La majorité des catalogues est donc construite selon un principe de différenciation binaire des genres qui s’exprime notamment à travers le choix du code couleur ou de la typographie.

Catalogue proposé par l’enseigne Carrefour en 2014

Observez donc : les pages réservées aux filles sont dominées par des tons pastel tandis que celles destinées aux garçons sont caractérisées par l’utilisation de couleurs vives. La typographie subit elle aussi des modifications puisque la police de texte choisie au sein des rubriques dites « pour les filles » est arrondie ou agrémentée de mignons petits cœurs, et à l’inverse, celle proposée dans les pages « pour les garçons » est davantage anguleuse.

De plus, la mise en situation des jouets reflétée par des photographies d’enfants constitue également un indice de cette volonté de cloisonnement entre les genres. Les jouets situés dans les rubriques pour garçons sont essentiellement manipulés par des garçons et réciproquement pour les filles. Par ailleurs, lorsque les enfants « transgressent » ces stéréotypes de genre, ils le font toujours avec la caution de l’autre sexe, en particulier s’il s’agit d’un garçon. Il demeure effectivement très rare de voir représenté dans un catalogue, un garçon jouant à la poupée qui ne soit pas accompagné d’une fille. Le patriarcat est donc représenté subtilement pour des jeunes, très consommateur.rice.s de ces catalogues, qui auront donc tendance à intégrer et reproduire des schémas de domination masculine dès l’enfance.

Jouer séparément, ennemi du « vivre ensemble »

Le monde des jouets offre deux univers très différents qui paraissent même inconciliables tant ils sont marqués par l’hyper-sexualisation. La construction d’un catalogue de jouets semble reposer sur un système binaire et réducteur où les garçons sont présentés comme « les héros d’un univers exceptionnel » alors que les filles sont davantage montrées comme « les protagonistes du quotidien ». Le garçon est plongé dans un univers où il est poussé à l’action et incité à faire preuve d’imagination alors que la fille demeure marquée par le rêve ou l’apparence physique. On remarque que la présentation des jeux d’imitation, avec d’un côté un uniforme de policier et de l’autre une cuisinière, au sein des catalogues de jouets participe fortement à cette création de deux univers distincts qui semblent incompatibles. Mais quelle surprise lorsque l’on découvre cette double page du catalogue Toys « R » Us !

Catalogue proposé par l’enseigne Toys “R” Us

Evoluons-nous donc toujours dans un monde où la femme est cantonnée à la sphère domestique et où l’homme évolue dans le monde professionnel ? Non, évidemment. Cette vision du monde est obsolète en France depuis 1965, lorsque les femmes mariées ont pu exercer une activité professionnelle sans l’autorisation de leurs maris. Le monde des jouets est donc nettement plus stéréotypé et inégalitaire que le monde réel. Les catalogues reflètent une vision erronée d’une société réductrice où les genres définiraient nos activités respectives. Un monde scindé qui ne tiendrait compte ni des évolutions juridiques et sociétales, ni des aspirations non-genrées des enfants. Car c’est au plus jeune âge que l’on force des générations entières de garçons et de filles à s’approprier des codes sexistes par le biais, notamment, de leurs loisirs et des fameux cadeaux de Noël… empoisonnés. Jouer séparément expose au risque de renier le « vivre ensemble » car l’on se conforterait dans l’illusion d’une complémentarité binaire des rôles femme-homme et ainsi d’une hiérarchie en contradiction avec le principe d’égalité des genres.

Le catalogue de jouets, un manuel d’éducation ?

Catalogue proposé par l’enseigne Monoprix

Il n’est certainement pas utile de vous rappeler que le jeu participe à l’élaboration de l’identité de l’enfant. Les jouets présentés et les discours insérés dans les catalogues influencent donc non seulement les goûts, les aptitudes et les aspirations des enfants mais façonnent également leurs pratiques et leurs valeurs. Par conséquent, le catalogue tant attendu de la fin d’année ne peut pas être considéré comme une simple liste de jouets en vogue mais doit être analysé comme ce qu’il est réellement à savoir un médium prescriptif. Attardons-nous sur l’intitulé des rubriques proposées par le catalogue de l’enseigne Monoprix : le discours adressé aux garçons incite à développer leurs qualités de compétitivité, de courage, et les assigne à la réussite. Les filles, elles, sont appelées à faire preuve de docilité et de conformisme. Cette différenciation entre les deux genres peut conduire à un manque d’ambition et d’assurance chez les petites filles qui se concrétisera à l’âge adulte par un sentiment d’illégitimité et une limitation de leur champ d’orientation professionnelle, ce qu’on appelle plus communément l’autocensure.

Vers une déconstruction des stéréotypes ?

Des associations féministes et des groupes de parents se sont réunis afin de lutter ensemble contre les campagnes sexistes diffusées auprès de leurs enfants à travers les catalogues de jouets et leur promotion. En décembre 2012, une pétition en ligne (« Pas de cliché sexiste sur notre liste au Père Noël ») est lancée contre une publicité Vert Baudet qui met en scène des filles « débordées comme maman » jouant avec leur maquillage et leur sac à main et des garçons avec « des outils de bricoleur comme papa ». Face à ces diverses contestations, de grandes enseignes ont diffusé des campagnes de publicité mixtes et « neutres ».

Campagne publicitaire de la marque « Tim et Lou »

Tel est le cas de la Grande Récré qui décide de créer la marque « Tim et Lou » spécialisée dans les jouets d’imitation. Cette campagne montre deux enfants dessiné.e.s, un garçon et une fille, qui présentent des jouets moins sexués et des couleurs aux tons plus neutres. Cependant, ces efforts sont loin d’être suffisants et pèsent trop peu dans la balance. Modifier les contenus des catalogues de jouets constitue un défi de taille puisque la différenciation binaire des jouets profite à un système économique rentable. Le cloisonnement « fille / garçon » rendu matériellement figurable via un ensemble de codes sexistes aboutit à une démultiplication de la demande du consommateur puisque les jouets ne peuvent plus se transmettre d’un genre à l’autre au sein d’une même fratrie. La différenciation des genres alimente ainsi la tendance à l’hyperconsommation et soulève la question de la soutenabilité écologique d’un tel modèle économique.

Puisque le Père Noël est une ordure, ne serait-il pas temps qu’il se recycle ?

Sarah Barsacq

Crédits photos :

https://balledesexisme.wordpress.com

https://www.lexpress.fr

http://les-furies.blogspot.com

https://www.ouest-france.fr

Sources :

http://www.slate.fr/story/131849/jouets-genre-enfants

http://www.adequations.org/spip.php?article1911

https://www.nationalgeographic.fr/sciences/les-filles-les-garcons-et-les-jouets-genres

Rapport d´information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur l’importance des jouets dans la construction de l’égalité entre filles et garçons.

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